L’altération de la couleur naturelle du bois est le résultat de l’activité des scolytes, de petits coléoptères qui creusent des galeries sous l’écorce des arbres (en l’occurrence des Épicéas). Par leur présence, ils inoculent des champignons qui vont coloniser les cellules vivantes du bois sous-jacent, induisant un changement de couleur et entraînant par là une dépréciation de sa valeur commerciale. Ces insectes prolifèrent sur des arbres souffrant de stress hydrique, fragilisés et rendus plus vulnérables suite au réchauffement climatique et aux épisodes de sécheresse. Les chiffres constatés par les forestiers sont alarmants, d’autant plus qu’il s’y ajoute une urgence de récolter rapidement les arbres contaminés pour freiner la propagation sur les arbres affaiblis voisins.
Face à ces crises forestières profondes, résultant des désordres climatiques et des attaques d’insectes et de champignons, il est impératif de prévenir, d’accompagner et d’aider les forêts à s’adapter au mieux à cette nouvelle situation.
Dépréciation commerciale significative
La condition essentielle d’une gestion efficiente de ces périodes où les bois sont à la fois altérés et abondants est de pouvoir les transformer dans les meilleures conditions commerciales possibles, en conservant l’essentiel de leur valeur.
Or, pour de bonnes ou de moins bonnes raisons, les bois scolytés par exemple, subissent une dépréciation commerciale significative, principalement liée à l’aspect visuel des sciages (phénomène de bleuissement) plus qu’à un changement significatif de leurs propriétés technologiques.
En effet, le bois scolyté qui a pris une coloration bleue en raison de la présence de champignons inoculés à l’arbre par le scolyte peut être utilisé dans la construction. Le scolyte n’endommage que la partie périphérique de l’arbre n’entrainant pas (selon la sévérité d’attaque ) la perte des résistances mécaniques du bois.
Les tests réalisés en laboratoires ou directement sur chantiers ont démontré que ces bois étaient aptes à une utilisation en structure, dans des conditions comparables à des bois « sains ».
Il est donc essentiel que les artisans et industriels puissent adapter leurs outils de transformation à ce type de produits qui, sans être majoritaire, va représenter une part significative des volumes tirés de nos forêts « en crise ».
Information / formation / sensibilisation : le rôle de l’Etat et de la filière
Cela passera aussi par une information/formation des maîtres d’ouvrage afin de ne pas rejeter des bois dont l’utilisation ne pose qu’un problème esthétique et qui peuvent donc être parfaitement valorisés, pour peu que cet aspect visuel soit mieux accepté, ou éventuellement rendu moins apparent.
Des projets pilotes, comme les futurs gymnases d’Aigle et d’Échallens construits par l’État de Vaud et le bureau d’architectes Giorgis Rodriguez avec du bois indigène scolyté, démontrent cette possibilité.
Le bleuissement du bois peut présenter un intérêt pour certains designers qui ont une autre approche et portent un regard nouveau sur cette couleur parfois jugée exceptionnelle. Cela passe aussi par une sensibilisation des consommateurs et utilisateurs finaux.
L’Épicéa aujourd’hui, le Hêtre demain ?
Les mêmes remarques peuvent être formulées pour d’autres essences dont les bois proviennent de zones en crise. Pour le Hêtre par exemple, on est aussi confronté à des altérations de couleur qui peuvent être traitées et masquées par des procédés courants comme l’étuvage ou correspondre tout simplement à un « goût » différent d’un public averti. Enfin, des recherches doivent être poursuivies pour caractériser les aptitudes réelles de ces bois et définir au mieux leur périmètre d’utilisation, notamment dans le bâtiment, sur la base de critères objectifs et scientifiquement fondés.
Les crises forestières actuelles préfigurent des perturbations à long terme. Elles auront un impact durable sur nos écosystèmes forestiers et l’ensemble de la filière forêt-bois. Face à cette réalité, il est impératif que les propriétaires, les services forestiers, les entreprises, les associations et les pouvoirs publics travaillent ensemble pour y adapter la gestion des forêts et repenser l’utilisation des produits qu’elles fournissent. C’est en collaborant de manière concertée, que ces acteurs pourront assurer la préservation et la résilience de nos forêts pour les générations futures.